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18 juin 2008 3 18 /06 /juin /2008 15:46

Roman de la section "archéologie et histoire de Neuville-Bosc", publié à partir du bulletin d'information de Neuville-Bosc n° 3 d'avril 1984, à suivre au fil des numéros. Peut-être écrit par Mme Micheline de Somer (?), je n'ai fait que le retranscrire fidèlement. 
  
"La terre n'était pas remplie de tant de gens qu'aujourd'hui, ni si bien cultivée; et l'on n'y voyait pas tant de riches domaines, tant de châteaux, ni de villes opulentes. on faisait bien dix grandes lieues, voire quinze, sans rencontrer bourg, château ou ville où trouver un gîte".   Moniage Guillaume, XIIème siècle.

 "J'ai vu de mes yeux, les campagnes.. du vexin, du beauvaisis... hideuses à regarder, vides de
  paysans, pleines de ronces et d'épines."  Thomas Bassin, Hstoire de charles VII.

  En 1150, Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen, avait confirmé la possession de l'église de Monts à l'abbaye de Saint-Martin-sur-viosne. Le prêtre des lieux égrenait son sermon final : "repose en
  paix, tu as bien fait ton devoir. que vous fussiez tous aussi sages, mes paroissiens que vous
  êtes."
  La Béatrix ne parlait pas. elle avait de grosses larmes qui roulaient sur ses joues bleuies par la bise. la marie, sa fille, se blottissait contre elle en reniflant. Béatrix se tourna vers son compagnon, Jehan. il avait sangloté en voyant son père, l’Isambert Duquesne, enseveli dans la fosse commune, par humilité et par piété – puisqu’il prêchait sans cesse pour un retour à la religion primitive -. pour l’heure Jehan semblait calmé au milieu des hommes.
  Tous les vilains des feux voisins étaient là. le vieux était vénéré de tous à cause de son grand âge. Qui pouvait se vanter de n’avoir peu ou prou eu recours à lui ? D’aucun pour ses décoctions, car il savait les secrets des plantes; l’autre pour lui avoir sauvé une brebis; encore un pour un négoce ou une coupe de bois. Même le Doucet était là. Ce bellâtre avait débarqué un beau matin dans la région. nul ne le connaissait. Inutile de le questionner, il ne répondrait que par de sourds grondements. et puis son allure ne rassurait pas : grand gaillard hirsute, dépenaillé, pieds nus, il marchait toujours le dos voûté, les bras ballants, le visage heureux tourné vers le ciel et le regard perdu au loin. Tous avaient fermé leur porte sur son passage et saisi leurs amulettes pour éloigner le suppôt de satan. Les gens d’ici étaient trop pauvres pour se permettre de nourrir une bouche inutile. Seul, le vieil Isambert ne l’avait pas chassé, il avait saisi le simple par les épaules et l’avait mené dans son vivoir. Oh ! il n’était guère plus riche que ses voisins mais il l’avait pris en affection, non par pitié mais plutôt pour son sourire naïf et la bravoure au travail qu’il avait sentie en lui. De fait, le Doucet ne renâclait pas à la tâche. il était toujours présent lors des grosses besognes. Il vivait donc ici paisiblement depuis plusieurs années sans doute. cet après-midi, il n’avait pas compris ce qui s’était passé. Il caracolait, riait et essayait de les amuser par des pitreries mais personne ne 
le voyait.
  Les hommes regroupés marchaient en tête.  Ils portaient une chemise sous leur bliaud, les braies en toile bise joignaient leurs chausses, ils serraient leurs sayons à capuchon et soulevaient tristement leurs souliers à liens. Les deux fils de Jehan, Guillaume et Margerin, marchaient derrière lui; à sa droite, Hugues Bedoullard, le vigneron, suivi de son fils Jacques, l’aîné Etienne était loin derrière; à sa gauche, le bûcheron, Matthieu Delbosc qui avait à son côté Pierre Carbou, le charbonnier.
Puis venaient les femmes avec leurs jouvencelles et les petits. Protégés du froid par de longues robes en tiretaine ou en blanchet assez grossier, des chainses et des pelisses retenaient leurs chaperons. Eléonore, la femme du Matthieu, fort alerte bien qu’elle fût grosse de sept mois, avait l’aîné Matthieu, âgé d’une dizaine d’années, Radegonde et Alice, la cadette. Agnès, la femme Bedoullard, parlait en surveillant sa Catherine et sa Jehanne qui avaient rejoint Perrette, Marguerite et Blanche, les filles de Geneviefve, l’épouse du Carbou. Elle aussi avait l’œil sur ses damoiselles car elle avait remarqué les regards d’Etienne sur sa Perrette et ça ne lui plaisait guère. il  fallait que le père se décide à voir ce que le damoiseau et son père réclameraient. Ce n’était pas encore affaire faite. Discrètement, elle demanda à Béatrix :
  -  Dis, qu’est-ce t’en penses de l’Etienne ?
  - J’le trouve pas trop courageux.
  - Son père paraît content de lui pourtant.
  - Sûr qu’i va pas te dire le contraire, i serait trop content de s’en débarrasser ! 
  Ce n’était pas la réponse qu’espérait Geneviefve et à y bien réfléchir, sa Perrette avait presque le même âge que la Marie. Béatrix voulait peut-être aussi se la marier sa fille. elle décida de n’en plus jamais parler avec elle et se réjouit que l’Etienne s’intéressât à son aînée.
  Agnès rompit le silence :
  - Reste plus de lard pour la famille. ya plus que Hugues qu’en mange le dimanche seulement. même
  l’Etienne et le Jacques s’en passent. A leur âge ! 
  - Chez nous, on trempe le pain dans l’eau bouillie avec quelques racines. bientôt j’pourrai même plus faire le pain, y a plus froment ni seigle, lui répondit Eléonore. les tiots, le soir, ils ont faim. moi aussi avec le p’tit dans le ventre, i’me faudrait double ration.
  - A la maison, c’est tout pareil, rétorqua Geneviefve. j’peux plus nourrir les filles. Hier, on n’a même pas pu donner aux bêtes. L’hiver est long et rude cette année. Si la neige cessait de tomber, les prairies repousseraient, on aurait du bois sec. On est tous dans le même lit mais sans paille et les nuits sont froides, même les bestiaux ne nous réchauffent plus assez.
  - C’est vraiment une mauvaise année avec celle de l’an passé et celle d’avant, on ne peut plus faire d’avances et payer au seigneur, conclut Béatrix.
  Les hommes évoquaient aussi les rigueurs de l’hiver et la dernière grande famine que l’Isambert avait vécu quelques vingt cinq ans auparavant.
  Seul le bûcheron menait encore quelques activités. Obéissant aux ordres du seigneur, il ne pouvait abattre tout le bois nécessaire. on entendait ses cognées à la lisière des buttes de Rosne. ailleurs il n’osait trop s’aventurer car les bêtes rôdaient et il savait bien que les forêts étaient les résidences mystérieuses et privilégiées des ermites et des brigands. Faute d’âne, le Doucet charriait le bois.
  - Cette nuit, les goupils ont visité le poulailler. Quand le chien a aboyé, j’suis sorti avec ma fourche. j’les ai vus détaler. j’ai couru derrière mais ils allaient toujours plus vite, j’ai pas pu les rattraper et i m’ont volé mes chapons, disait Pierre.
  Jehan, paysan en tenure, exploitait quelques arpents de terre dans la vallée Jacques et au bidalé, mais devait toujours de lourdes redevances à son seigneur. ce dernier, Jehan de Neuville-bosc, répondant à l’appel de louis VII le jeune, était parti pour la seconde croisade. Il en était revenu au début de cette année mil cent cinquante. depuis, il imposait de pesantes charges. Jehan savait qu’il ne parviendrait pas à régler les cens ou les dîmes en temps voulu. De l’argent, il n’en possédait guère. les œufs et les volailles se faisaient rares. L’espoir de la dernière récolte d’avoine et d’orge le rassérénait. contraint de travailler sur les terres du seigneur plusieurs jours par semaine, il n’entretenait même plus son jardin ou ses maigres vignes. Si jehan de Neuville-bosc exerçait son droit de justice, Jehan le paysan tomberait de pauvreté en misère. « attendons la moisson » se résigna-t-il et il fixa ses mains en se promettant d’aiguiser sa faucille dès le lendemain.
  A la croisée des voières, en entendant vêpres sonner, ils se signèrent et se séparèrent pour regagner leurs masures de bois et de torchis. Les Bedoullard partaient vers le Grand alléré ; les Duquesne prenaient le sentier de Cresnes ; les Carbou se dirigeaient vers Goupillon et les Delbosc rentraient à Neuville-bosc.
  Le ciel était d’un gris blanchâtre, lourd de neige et la nuit tombait. Les hulottes et autres rapaces nocturnes décampaient bruyamment sur leurs passages. Les portes à peine refermées, les loups des buttes s’étaient mis à hurler. Ils avaient faim eux aussi, il n’y avait plus rien dans les forêts.  « C’est mauvais présage » annonça Eléonore, et tous de se barricader.
  Durant plusieurs semaines, ils vécurent ainsi, anxieux, affamés. Or, depuis quelques jours, le temps se radoucissait. le blanc manteau avait disparu et avait fait place à une prairie brûlée et clairsemée. le printemps arrivait pour sûr ! Perrette menait ses brebis dans la jachère. Elle empruntait le chemin des blancs champs et s’installait dans le plant. Matthieu et Radegonde fabriquaient des fagots de noisetiers. Parfois Blanche et Marie les rejoignaient. Ils riaient bien ensemble dans les bois sauf le jour où Marie accrocha son surcot dans les ronces car la Béatrix l’accueillit avec une bonne taloche. elle ne dirait rien au père mais qu’elle ne recommence pas ! la jeunette avait mis un peu d’ordre dans sa chevelure ébouriffée et rien n’y paraissait plus.

  Ce jour-là, Eléonore était venue aider Agnès à ravauder le linge.
  - C’est quand que tu accouches ?
  La jeune femme épanouie répondit en souriant d’un air confiant : 
  - A la prochaine lune car j’le sens qui bouge de plus en plus ! 
  - Et comment tu vas l’appeler ?
  - Avec matthieu, on en a causé, ce sera un garçon puisqu’il n’y a pas eu de noisettes cette année, donc on l’appellera Isambert. 
  - C’est au Jehan que ça va faire plaisir, il en était fier de son père et peut-être qu’il lui ressemblera. le Doucet, i va pas comprendre mai i l’aimera bien.
  - J’voudrais tant qu’il soit comme le vieux ! 
  Elles n’en finissaient pas de jaser, tant et si bien qu’Eléonore et sa petite rentrèrent fort tard tandis qu’Agnès serrait le linge dans l’unique coffre.
  - Où est ton frère ?
  - J’sais pas, pleurnichait Radegonde.
  - Il n’est pas rentré avec toi ?
  Non, on a vu Perrette à l’orée de la forêt, il a causé avec elle. 
  - Ce Matthieu, il n’en fait qu’à sa tête, il va voir en rentrant ! 
  L’angélus retentissait comme le père rentrait, n’apercevant pas son aîné, il s’inquiéta : « j’vais chez le Carbou, j’demanderai la Perrette, è me dira bien elle où il est ». 
  Les brebis étaient là, donc la pastourelle était revenue. « j’sais pas où il est i m’a dit qu’il avait découvert une cachette dans la forêt mais j’sais pas où c’est ». Un brandon à la main, les deux hommes sortirent avec la jeune fille qui leur désigna du doigt la direction prise par Matthieu. Ils passèrent une partie de la nuit à chercher « ce méchant galopin » en vain. aucune réponse à leurs nombreux appels. Pierre était déconfit et le père Delbosc angoissé.
   Alors qu’au village voisin, la cloche sonnait prime, Pierre avait rassemblé tous les hommes à la croisette et une véritable battue s’engagea dans l’allée piquet vers Goupillon et Neuville-bosc, vers la vallée Jacques, le Heaulme et Chavençon.
  C’est Jacques qui découvrit l’enfant couvert de feuilles et de rameaux. Personne n’avait rien  entendu, rien vu et personne ne comprenait pourquoi les loups s’étaient ainsi attaqués à l’enfant. D’ordinaire, ils ne descendaient vers les hommes que lorsque la faim les tenaillait, sinon ils vivaient sur leur territoire. Matthieu y avait-il pénétré sans le savoir ? Tous le soupçonnait. 
  Sa disparition bouleversa les hameaux, cependant les travaux des champs, des vignes, des forêts reprenaient et on oublia rapidement.

Le ciel était de plus en plus clément ; dès mars Agnès aidait Hugues à labourer près des ceps, le travail devait vite se faire au cas où il y aurait une ultime gelée sinon le vin ne serait qu’une immonde piquette dont ils ne tireraient pas un bon prix à la foire. Il fallait aussi réparer les tonneaux vides, crevés par le gel. Béatrix cousait un bliaud pour 
Marie et Eléonore préparait des bandelettes en regardant jouer Alice et Radegonde. Elle ne s’était pas trompée, par une nuit de pleine lune, elle mit au monde un superbe bébé. Agnès était accourue par le chemin de l’osier et vit son amie déjà debout, les traits tirés mais si heureuse.
  - Il s’appelle Matthieu comme son père et parce que le frère est mort, c’est la coutume chez nous.
  - Vous avez eu raison, mais il faudra quand même dire à Jehan votre première idée, ça lui fera plaisir de savoir que vous y aviez pensé. 
  Elle l’embrassa, prit le tiot tout emmailloté dont seul le visage dépassait et commença de le bercer en lui chantant les comptines du pays. Toute la journée, ce fut le défilé dans le haut de Neuville-bosc. On venait féliciter le père, embrasser la mère et voir le poupon qui se mit à brailler. Eléonore le prit et s’éloigna pour l’allaiter, ce qui eut pour effet d’arrêter instantanément les pleurs.
  Matthieu, qui portait pour l’occasion son tablier neuf, servait le vin et la cervoise. Agnès se rapprocha de Geneviefve et lui fit signe du menton. Elles avaient bien remarqué le jeu d’Etienne et de Perrette. C’était un regard à peine posé déjà envolé, un frôlement léger, une rougeur sur le front...
Pierre n’était pas dupe, lui aussi en son temps avait su conter fleurette à sa mie. Il se doutait bien qu’un jour sa grande s’en irait, il valait mieux que ce soit avec un gars du pays, courageux et honnête, qu’il avait vu grandir. et puis, chez les Bedoullard, elle ne serait pas malheureuse ; ils possédaient des vignes qui rapportaient bien les bonnes années.
Hugues, le père d’Etienne, suivait d’un œil complice les niaiseries de son fils qui lui rappelaient celles qu’il avait faites ou contées devant Agnès. Il l’estimait la petite Perrette. elle pourrait aider la femme à la maison. elle avait le même âge que sa Catherine, elles s’entendraient bien. Les regards se croisèrent, dans le pays on n’avait pas besoin de longs discours pour se comprendre. Certes, ils aimaient suffisamment leurs enfants pour ne pas nuire à leur bonheur mais il fallait négocier et ce serait long, très long.
  Perrette, comme les autres jeunes filles à marier, verrait encore l’arbre de mai cette année mais elle saurait que les branches vertes, ce serait l’Etienne qui les aurait déposées la nuit devant sa porte et le soir elle souperait près de lui.
 Quand arriva l’heure des adieux, Matthieu et Eléonore ne manquèrent pas de rappeler que le baptême aurait lieu à la fin de la semaine dans la prairie communale. C'était évidemment Agnès la marraine et Pierre le parrain.
  
  Ce n’était pas encore la fin du mois de mai et, néanmoins, on se serait cru en plein été. Desséchée en surface, la terre craquelait. Pluies et soleil avaient tant et si bien alterné que bois et champs étaient couverts d’une végétation luxuriante et présentaient un vaste camaïeu de verts. Les arbres fruitiers promettaient. quelques touffes de violettes parsemaient encore les bords du chemin et disputaient leur parfum à celui de l’aubépine. en revenant des fonds d’ivry, le père Duquesne remarqua quelques nuages derrières les buttes et se dit que la journée ne se terminerait pas sans orage. il avait les genoux raides ce soir et c’est d’un pas trainant qu’il regagna Cresnes. 
  Après un dernier regard contemplatif sur ce décor enchanteur dont il aimait à se remplir les yeux, il passa le pas de la porte et renifla l’odeur de la tarte à la cannelle que sa bru avait faite pour le lendemain. il alla s’asseoir sous le manteau de la cheminée pensant délasser ses vieilles jambes et s’accorder quelques instants de répit, quand  : 
  - Dis, grand-père, qui te les a racontées toutes ces légendes que tu m’as dites cet hiver ?
  - Oh là, tiot gamin, ‘sont pas des légendes mais bel et bien l’histoire de nos hameaux telle que me
  l’a racontée mon aïeul qui le tenait lui-même de son aïeul !
  - Alors le Matthieu mangé par les loups, c’était vrai ?
  - Pour sûr.
  - Et les accordailles de Perrette et d’Etienne aussi ?
  - Evidemment.
  - Tu en connais d’autres ?
  - Après mon gars c’est plus difficile car la mémoire se perd parfois mais je me souviens d’un fléau qui a ravagé tout le pays, il y a plus de trois cents ans je crois… oui… c’était la grande peste noire.
  A ce mot, l’enfant frissonna mais poussé par sa curiosité, se rapprocha de son grand-père.
  - D’aucun te diront que c’est Dieu qui l’envoya sur terre pour se venger des hommes malfaisants, d’autres te diront qu’elle est arrivée avec les rats dans les cales des bateaux qui venaient de Crimée et accostaient à Marseille et que ce sont les marchands de puces ou les soldats qui l’ont colportée. Ce mal a répandu la terreur pendant de nombreuses années. les ravages sont affreux.
  Aux premiers temps, on ne sut pas la reconnaître. pour beaucoup, ces fièvres brutales, ces frissons étaient dus à un refroidissement passager. mais, quand les premières victimes, les yeux creux, la langue sèche, ont gémi de douleur à l’apparition des bubons, les hommes ont entrevu l’ampleur du mal. Quelques uns, après un long délire ont guéri mais bon nombre est mort car, insidieusement, les poumons étaient atteints. Les souffrances de la toux, l’essoufflement, la fièvre violente, les ont emportés en peu de jours. La  contagion était rapide. songe qu’en 1385, à Delincourt, tout près de Chaumont, plus de la moitié de la population est morte de cette épidémie. Il faut avouer que même si les campagnes ont été moins touchées que les villes, la peste s’est acharnée sur les pauvres et les enfants. D’autant que les mauvaises récoltes font que la paysannerie, moins bien nourrie, est plus sujette aux maladies. Même les médecins et les apothicaires mouraient ! Les frères de la 
  Sainte-Trinité, au Fay-aux-ânes(1) œuvraient jour et nuit pour soulager ces malheureux mais leur maladrerie ne suffisait plus à les accueillir. Alors, on a vu sur les routes des cortèges d’indigents. les survivants suffisaient à peine à enterrer les morts. 
Le grand-père épongea son front d’un revers de manche. La toison neigeuse de ses cheveux rehaussait la pâleur qui avait envahi son beau visage plissé par les ans, le soleil et les rudes travaux des champs. Une vague de larmes ourlait les paupières de ses yeux si bleus. Le silence qui régnait en maître dans la pièce était oppressant. Le soleil déclinait à l’horizon et laissait derrière lui une lourdeur pesante. L’enfant était moite comme s’il avait la fièvre. Il n’osait esquisser le moindre geste. Par la croisée, il aperçut des nuages blancs, des « fleurs d’orage », comme les appelait sa grand-mère. Il espérait la suite de ce funeste récit car il sentait bien que le vieux ne lui avait pas livré tous ses secrets, mais sa langue restait collée. Il suffoquait. Le sourd murmure reprit, ce fut un soulagement.
- Notre campagne meurtrie, où la mort avait déjà fauché des centaines d’âmes innocentes, allait être le décor de biens sanglants troubles encore. Cette fois, ce furent les hommes de chez nous qui furent leurs propres fossoyeurs. Les paysans en colère en avaient assez de lutter contre les calamités qui s’accumulaient, de mendier sur les routes, de combattre sans cesse, qui les anglais, qui les troupes du roi de France. Ils ont préféré se dresser contre le sort qui les attendait, contre leurs seigneurs, leurs droits, leurs privilèges et ont orné leurs bannières de fleurs de lys. Ils ont estimé qu’il valait mieux mourir en se défendant main à main de leurs ennemis que d’être brûlés et leurs femmes et leurs enfants dans le manoir ». Les Jacques, c’est ainsi qu’on les nommait, s’assemblèrent et s’en allèrent sans autre conseil… sans nulle armure fors que de bâtons ferrés et de couteaux (2). Cette première révolte sanglante a explosé dans un très proche village, Saint-Leu-d’Esserent. Alors que les soldats pillaient le couvent, les vilains les ont occis. Quatre chevaliers et cinq écuyers ont été égorgés. En ces temps-là, les rixes étaient si quotidiennes que celle-ci aurait pu passer inaperçue mais en fait elle sonnait le glas du silence des rustres. De tous les horizons du Vexin surgissaient colères et révoltes. Plus de seigneurs, de nobles, de chevaliers n’avaient grâce à leurs yeux. Dames, demoiselles, enfants étaient emportés aussitôt, brisés ou brûlés. En Beauvaisis, c’est un certain Guillaume Carle qui dirigeait ces petites bandes et les haranguait. Honni soit celui par qui il demeurera que tous les gentilshommes ne soient détruits !… Les seigneurs, d’abord abasourdis, ont vite relevé le défi et suivant les conseils de Charles le Mauvais, secondé par leurs amis de Flandre, du Hainaut, du Brabant les ont écrasés près de Creil, incendiant chaumines et maigres greniers, pendant aux arbres, dans les aubes lugubres, les corps de tous ceux qui portaient guenilles, assassinant à chaque détour du chemin, les découpant et les dépeçant. La vengeance était sans pitié et sans merci.
L’enfant eut un haut-le-corps que le grand-père ne vit pas. Il en avait assez des tourments et des pillages, des exactions et des outrages. Un violent éclair dans le ciel d’encre, suivi du fracas du tonnerre lui donnèrent l’impression que la foudre allait les tuer sur-le-champ.
- Je ne t’ai jamais raconté l’histoire du passage des Anglais dans le pré en allant sur Hénonville?
L’enfant n’eut pas le temps de répondre que le vieux enchaînait déjà comme s’il voulait ce soir en finir une bonne fois de toutes ces horreurs.
- les monarques anglais menaient campagne depuis de fort longues années contre les rois de France. Les prétentions des successeurs aux deux dynasties variaient suivant les temps mais pour celui dont je te parle ce fut notre roi Philippe VI qui ouvrit les hostilités. Il voulait tout bonnement reprendre la Guyenne à Edouard III qui ne l’entendait pas de cette oreille. L’acharnement de ses troupes au combat fut exemplaire et sans borne.
Le grand-père prit le temps de se caller et reprit :
- Revois-tu le pré, là-bas, en sortant de Cresnes ? Ils y avaient dressé leur camp sous l’étendard aux fleurs de lys et aux léopards Plantagenêts. Il faut dire que c’était une armée remarquablement entraînée et équipée. La cavalerie disposait de montures bien entretenues montrant fière allure. Quand leurs redoutables archers s’exerçaient, leurs flèches semblaient voler. Ils étaient bien plus rapides et efficaces que nos pauvres arbalétriers. Nos aïeux lançaient à leur endroits des regards envieux et les haïssaient encore bien davantage pour leur fâcheuse habitude de mettre tout à sac sur leur passage . Notre propre ferme a été pillée de fond en comble. Quand Edouard III signa le traité de Brétigny, on crut qu’on allait enfin revivre en paix. Hélas notre terre vit pendant près de cent ans les hommes se massacrer !
L’enfant tombait de fatigue et d’effroi. Il s’éloigna de la chandelle et s’allongea sur la paillasse. La chaleur était tombée mais le vent soufflait et les branches du coudrier fouettaient la fenêtre. Les éclairs qui se succédaient et illuminaient violemment la pièce, terrorisaient l’enfant. Depuis qu’il était petit, sa mère lui disait les jours de gros orages, pour le rassurer, que le Bon-Dieu jouait aux balles. Cette nuit-là, il vit des armées entières déferler dans la cour de la ferme, suivies de la valetaille transformée en bandes d’écorcheurs. Son cauchemar ne s’arrêta qu’au petit matin avec les dernières pluies et les derniers soubresauts du tonnerre et avant de sombrer dans un profond sommeil, il se promit de cesser ses tribulations guerrières avec les autres gamins du village.

- Avez-vous le Sieur Curé dans quel état rentre-t-il encore? Sûr qu’il vient de Saint-Jean-en-grève. Les filles de mauvaise vie lui troublent l’esprit !
Sa bru, comme beaucoup d’autres paroissiens du village, ne supportait plus les frasques des voyages parisiens du Père Martin. Le scandale de son comportement rejaillissait sur toute la communauté. Depuis un moment, l’enfant éveillé entendait sa mère vitupérer.
- Que se passe-t-il grand-père ?
Un scintillement doré et malicieux éclairait le fond du regard du vieux qui pour toute réponse lui offrit une large part de la tarte à la cannelle. Le gamin la dévora rapidement et sortit dans la cour d’où il vit une silhouette titubante se rendre à Neuville-Bosc.
Depuis bien longtemps, le sieur Curé négligeait par trop les fonctions de son saint ministère. Quant à sa conduite privée ! A croire que les décisions prises au Concile de Trente(1) n'étaient pas encore parvenues dans notre campagne. Sa longue robe noire et ses cheveux coupés courts ne le mettaient pas à l'abri des critiques acerbes de ses ouailles. La messe dominicale était toujours l'occasion de bavardages. Ce jour-là, les hommes devant, les femmes derrière comme l'exigeait la coutume, les langues se délièrent. L'Ite missa est à peine prononcé, Marie Duquesne saisit sa voisine par le bras.
- Je te dis que je l'ai vu traverser le semetière dans cet état-là ! et le clerc m'a dit que Monseigneur l'Archevêque qui est venu l'autre jour a écrit dans on grand livre tout ce qu'il a vu et entendu.
On pouvait lui faire confiance à la Marie, quand elle affirmait quelque chose, c'est que c'était vrai. Le rapport de la visite pastorale (2) du 24 septembre 1710 en notre paroisse avait été rédigé le 23 octobre de la même année. Les faits et gestes étaient consignés pour l'éternité (3).
"Nous, Claude Maur D'Aubigné, par la permission divine archevêque de Roüen, primat de Normandie, pair de France, accompagner comme dessus, sommes aller en l'église de Neuville-Bosc, doyenné de Chaumont de notre Diocèse y faire la visite assignée au jour par nostre Mandement en date du 24ème 7bre dernier ou nous avons été reçus avec les cérémonius ordinaires et après les prières et visites de toutte l'église nous avons remarqué dans le tabernacle qui commence à se dédorer un ciboire d'argent doré en dedans mais trop petit pour le nombre des communiants, qu'il y a un fort beau calice et un autre moindre dont la couppe se pailleuse en dedans et la patine commence à se dédorer parce qu'on la met la dedans contre le pied du calice sans mettre le linge entre deux, que le soleil est d'argent et donc le croissant doit être doré en dedans, qu'il n'y a point de petite boette pour porter le st viatique aux malades, que les ornements de toutes les couleurs et le linge en nombre suffisant pour tenus assez proprement dans la sacristie qui est assez en bon état, que les deux autels des chapelles de la Ste Vierge et de St Prix qui sans décoration manquent de pierres consacrées, nous avons en outre remarqué qu'il y a plusieurs endroits à renduire aux murs extérieurs de léglise et plusieurs pillers buttants a reposer qui sont considérablement dégradés, que les processionnaires sont un peu lacérer et commencent à se délier. Ensuite estant entrer dans le détail du revenu de la fabrique (4), nous avons trouvé qu'elle a plus de 1000 tt (5) dont le sr Curé reçoit pour l'acquit des fondations 231 tt et pour les messes de dévotion qui se disoient autres fois sur les questes et que l'on fait à présent aux despens du Trésor 4 tt 10 Pour 40 tt comme il est tiré en ligne dans le compte de Claude Ozard de l'année 1708 commençant au mois d'octobre pour finir à pareil mois 1709. Lequel nous esté représenté dresse et non rendu tt; et duquel la somme totale n'a.....(6) point aux articles tirer en lignes. Le sr Turpin, chapelin, de la chapelle de Tomberelle pour les assistances à l'église paroissiale 23 tt 10 qu'oyque dans le compte précédent il ne luy ait été donné que 16 tt 10 tt non plus que celuy de lannée présente n'est pas même dressé.
El le clerc pour ses gages 12 lequel tient les écoles pour les garçons qui y sont en petit nombre n'y en'ayant point pour les filles. Et de plus pour avoir chanté les messes... de dévotion 2 tt 10 de plus pour les habits des pauvres 40 tt, pour le pain des pauvres et eschaudées 16 tt. Nous avons aussi appris qu'il y a en cette paroisse deux chapelles, l'une à Chevanson qui sert d'église succursale et que nous visiterons cet après-midy, l'autre se nommant Tomberelle cy dessus mentionnée laquelle est desservie par le sr Turpin qui reçoit pour six messes de fondation qu'il acquite 400 tt. Nous avons aussy entendu plusieurs plaintes que le sr Curé fait des procès à tout le monde et fait des voyages continuels à Paris qui l'empeschent de remplir les obits dont néantmoins il reçoit les rétributions, et que plusieurs personnes sont mortes sans sacrements pendant ses absences et qu'il a porté le st viatique sans décence, en outre qu'il y a une grande suspicion dans les motifs de ses voyages de Paris par rapport aux personnes du sexe, en outre le sr Curé est convenu que pendant ses ... voyages de Paris, il acquitte à Paris dans la paroisse de St Jean en grève et autres les messes de... fondations, et qu'il fait faire le cathéchisme festes et dimanches par son clerc quand il a mal à la teste, ensuite estant informer qu'il n'y apoint de marguiller nommé pour la gestion du Trésor de la présente année commençant au premier de ce mois pour finir à pareil jour à la prochaine année, nous avons fait procéder à la nomination d'un nouveau suivant laquelle la personne de Nicolas Marchand, laboureur de la paroisse, a été nommé laquelle nomination nous avons sur le champ confirmée. Dont et de tout ce que de plus nous avons dressé le présent procès verbal les jour et an ...".

Le bon temps (printemps) était définitivement revenu et les grands travaux allaient, sous peu tous les occuper de l’aube au crépuscule. Les parents du petit Matthieu s’étaient accordés les trois jours pour emmener leur nouveau-né sur les fonds baptismaux. Le petit avait été soigneusement emmailloté dans une robe blanche et déposé dans sa petite corbeille mobile. Agnès le berçait fréquemment en attendant le départ et confiait à Eléonore :
- Nous avons longtemps hésité avant de choisir les prénoms de mon fils. En fin de compte, ce sera Pierre-Anne, Isambert car chacun s’en souvient ici et Thibault puisqu’il est le patron des charbonniers. Mathilde est allée puiser l’eau de la Trenna (Troesne en 1117 cartulaire du prieuré de Liancourt Saint-Pierre) pour emplir la cuve.
- Votre choix me comble pleinement. Comme je regrette de ne pouvoir vous accompagner !
Respectant la tradition, la mère ne retrouverait sa place à l’église qu’après les quarante jours de ses relevailles. Comme à l’accoutumée, la cérémonie réunissait tout le proche voisinage. Le père, accompagné de Mathilde, la sage-femme, prit l’enfant dans ses bras et dans la liesse et le bavardage entama le chemin.
La cérémonie passée, on retourna dans la salle où se reposait Eléonore, son manteau sur les jambes. On n’avait pas lésiné sur les mets et les boissons. Les estomacs se régalèrent. Dans un coin retiré, depuis un certain temps, Pierre et Hugues s’entretenaient, tous les présents se doutaient du sujet évoqué mais se gardèrent bien de dire un mot.
Dès les premiers beaux jours, le père Bedoullard avait aéré la terre. Comme les pieds n’étaient pas alignés, on ne pouvait passer avec la charrue. Agnès avait aussi plié l’échine et empoigné la houe pour ce premier labour. Au jour venu, après avoir consulté le ciel et l’ombre des grands hêtres entre sixte et none dans la ruelle, regardé de près ses pieds de vignes, il se mit à provigner. Etienne et Jacques l’aidaient à coucher les ceps en terre. La besogne était rude mais elle ne coûtait que la fatigue du corps et donnerait trois ou quatre sarments nouveaux très robustes. Matthieu Delbosc prit le chemin de la fontaine pour s’enfoncer vers les Buttes où, comme chaque matin, il s’attaquait à un des hêtres qui recouvrait le massif. Depuis que, de générations en générations, on pratiquait ainsi, la clairière s’élargissait, il transformait les broussailles par brûlis en essarts et c’est là que ses animaux trouvaient leur subsistance. C’est ainsi que son grand-père avait procédé pour obtenir les terres autour de l’église, maintenant il faisait pousser le froment et le seigle réservés au seigneur Hugues.
A côté, sur le versant ouest, son voisin Jehan, cultivait l’avoine qui servirait à faire la bouillie pour nourrir sa famille, plus loin sur le même versant, au printemps, il avait semé du mil et de l’orge, sa femme en ferait du pain pour l’année.
Au détour d’un chemin, Matthieu rencontra Jehan, le laboureur. Jehan remplaçait maintenant entièrement son père Isambert, disparu l’hiver dernier. Depuis quelques années, grâce à la sélection des épis les plus beaux ainsi qu’à cette invention « le versoir » pour retourner la terre, Jehan arrivait à récolter trois fois plus de froment sur ses terres de l’église, il aurait entendu dire que les domaines voisins obtenaient le même résultat.
- Agnès, enfants, regardez ! Il fait mai ce matin, avait crié Hugues en poussant la porte. C’est le temps d’aller ficher les échalas. Etienne va dire à ta Perrette qu’elle vienne aider la mère à préparer l’en-cas. Catherine, Jacques, Jehanne, vous me trouverez sur la groue !
Hugues était toujours très gai ces matins-là. Sa vigne renaissait, sa vie à lui recommençait. Durant l’hiver, il avait épointé les bâtons de chêne ou de châtaigner qui avaient servi pour la dernière récolte. Il avait brûlé à regret, comme de vieux compagnons de route, ceux qui ne tiendraient plus et avait discrètement subtilisé quelques nouvelles branches.
En attendant le second labour, il ne manquait pas chaque soir, dans sa prière, de recommander sa vigne à Saint Urbain pour qu’il la protège du dernier gel.
- Nous sommes en mai, dit aussi Matthieu ce matin-là, et tu sais que le Chevalier Hugues de Gréna (Cresnes, Hugues de Grena en 1152, Archives de Rouen) n’admettra pas un jour de retard à la Saint Michel lorsqu’il s’agira de payer le cens en grains,vin, légumes, noix, œufs et volailles. J’ai appris que « le Champart » représentera le dixième des plantations de pois et de fèves cette année et le pressurage (l’impôt sur la vigne) équivaudra à un pot sur neuf ou dix dans notre région, la dîme, elle, passera du douzième de la récolte de blé et vin au dixième ! et la plus grande partie reviendra à Hugues et non au curé du village !
En 1150, passé le délai canonique des 24 heures après que le décimateur de Hugues de Gréna eut été avisé, Jehan pouvait rentrer sa récolte à condition de laisser sur place la part de la dîme « des gros blés » ; bien souvent les gerbes et les tas demeuraient longtemps sur place car les décimateurs débordés ne pouvaient tout estimer avant enlèvement des 90%. Parfois même, les paysans n’acceptaient de livrer la part au décimateur qu’en plein hiver, alors que bêtes et gens avaient déjà consommé une partie importante des récoltes.
Jehan et Matthieu se quittèrent ce matin-là, enviant leurs lointains descendants, qui eux ne connaîtraient certainement pas toutes ces dîmes, champarts, tailles et autres…
- le père est encore sur la groue ? demandait Agnès à ses fils
- Tu sais bien que quand la vigne fleurit, le père ne la quitte plus, fit remarquer Jacques.
- Dès que les grains apparaissent, il dit qu’ils changent de couleurs de l’aube à la nuit. Il aime les voir briller au soleil le jour et s’enluminer de rose le soir.
- C’est bien remarqué, Etienne, ce que tu dis là, approuva Jehanne. Il attend patiemment que la grappe grossisse et mûrisse à point.
Chaque année, dès que la bonne saison (l’été) approchait, le père disparaissait ainsi des journées entières. Il guettait le moindre oscillement des feuilles et surtout la plus petite tache. Les gribouris et les pyrales le hantaient parfois jusque dans son sommeil surtout depuis l’année où ces vers avaient envahi sa vigne. Pour la guérir, il avait fallu aller avec tous les voisins en procession au milieu des ceps avec les poules, les canards et les dindons pour parfaire la besogne.
Pendant quelques jours, la famille Bedoullard n’aidait plus dans les champs. Il fallait tiercer la vigne. Les pioches fendaient les mottes de terre, toutes les mauvaises herbes devaient disparaître.
- Hé, Hugues, il n’y a pas eu de grêle cette année. Ton raisin, i doit être bon à cueillir !
Tous les ans, les voisins lui proposaient ainsi leur aide pour la vendange. La maturation était parfaite, le père Bedoullard en était fier. D’aucuns prirent une serpette, le Doucet chargea la plus grosse hotte sur son dos. On allait bien voir ce que porter ses frêles épaules, il leur montrerait !
Du matin au soir, on entendait les coups secs qui tombaient, les rires des plus jeunes, on gobait quelques grains aigrelets en sachant qu’on le paierait le lendemain. Mais qu’importait le lendemain !
- Dis, cette grappe on pourrait-i pas la laisser mûrir encore un peu ?
Cette chanson jaillissait de-ci, de-là. Toute la communauté s’était accordée pour conserver une petite part de la récolte. Toutes les cuves remplies étaient destinés au pressoir seigneurial et l’on savait bien que Hugues perdrait déjà un ou deux pots sur dix. On faisait contre mauvaise fortune bon cœur en songeant qu’ « à la Saint Urbain, tout ce qui appartient à la vigne appartient au vilain » (dicton populaire, la Saint Urbain était fêtée le 22 novembre).
Les charrettes étaient toutes parties, les hommes nus avaient foulé les grains. Le moût était entonné, il devait maintenant bouillir dans les tonneaux. Hugues attendrait la proclamation du banvin. Ce jour-là, le seigneur autoriserait l’ouverture de la vente. La récolte était bonne cette année, il n’y avait pas d’inquiétude à avoir, le seigneur ne se réserverait pas quelques jours auparavant. Le vin blanc du pays se négocierait facilement.

Notes :
(1) Entre 1545 et 1563
(2) Sortes de tournées d'inspection des paroisses effectuées par chaque archevêque.
(3) Les patronymes utilisés dans le texte sont ceux mentionnés dans l'extrait des visites pastorales de Monseigneur d'Aubigné, -archives de Rouen, série G-736 p.200 à 203-.
(4) Sortes de conseil paroissial... composé des hommes les plus riches et les plus aptes.
(5) tt = livre-tournoi- 1000 tt : revenu d'une bonne paroisse; 100 tt : revenu d'un manouvrier urbain; moins de 100 tt pour un manouvrier rural.
(6).... manuscrit illisible.
(1) Aujourd'hui ferme et château sur la route d'Hénonville à Méru. Autrefois, en ce lieu, existait une ministrerie. Les moines entretenaient un certain nombre d'ânes; à l'origine,l'âne était la seule monture qui leur fût permise; de là leur surnom de frères aux ânes. Biens de la Commanderie de Sommereux, hameau important au Moyen-Age, 21 feux en 1332.
(2) Fait réel extrait des archives.
Bibliographie :
"La vache au prêtre", Brunain
"La vie au Moyen-Age", R. Delort
"Le choix des prénoms autrefois", Gé-magazine n°10
"L'histoire de la France", Georges Duby
"La vie quotidienne des paysans français au XVIIème siècle", Pierre Goubert
"Histoire de la France rurale", Duby et Wallon T2
"Les chroniques", Froissart
"La guerre de cent ans", Jean Fabier
"Les chemins de Bourges", Solange Fasquelle
"Encyclopaedia Universalis" vol.8
"Les Saints au Moyen-Age", Régine Pernoud
"L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'occident médiéval", Georges Duby
"La civilisation de l'occident médiéval", Jacques Le Goff
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  • : Le blog non-officiel de NEUVILLE-BOSC et de ses hameaux, créé en juin 2008 par Roseline SOUDAN.
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